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En réaction à ce titre du Monde :

Réindustrialisation : « Le gouvernement a lancé la machine, mais il reste le plus dur, changer les esprits »

(Je ne peux pas lire l'article, qui est payant : je réponds seulement au titre.)

"Changer les esprits" pour réindustrialiser la France - bonne idée, maintenant regardons de qui au juste on pourrait changer l'esprit.

On peut essayer de changer l'esprit des consommateurs, c'est-à-dire de tout le monde. Ça a déjà été tenté : ça consiste d'une part, à faire passer à la télé des pubes qui disent "achetez français", et d'autre part, à vérifier que les étiquettes "made in France" ne sont pas trop mensongères. Ça ne marche pas, et pour plusieurs raisons :

  • D'abord, la définition des étiquettes "made in" est régulée au niveau de l'Europe, et celle-ci, étant dirigée essentiellement par les lobbys industriels, a décidé qu'il suffisait que l'emballage ou la couture de l'étiquette soit fait en Europe pour que le produit soit "made in EU". Pour changer ça, il faudrait changer l'Europe et non pas "les esprits".
  • Ensuite, les consommateurs achètent d'après deux critères : la marque et le prix. Pour pouvoir payer les Nike de l'aîné (made in Bangladesh) il faut bien lui acheter un cartable discount en plastoc (made in China). Quelques bobos parisiens s'intéressent à d'autres facteurs, comme l'absence de produits animaux ou de gluten, le bien-être du bétail, la durabilité, le bio, la qualité nutritionelle, la réparabilité, le recyclage, etc., mais la masse des consommateurs n'ont ni les moyens de payer des suppléments pour mettre en œuvre toutes ces bonnes intentions, ni le temps de passer des heures au supermarché à lire des étiquettes. "Achetez français" serait une injonction de plus parmi mille qui n'arrivent déjà pas à changer l'esprit des consommateurs.
  • Il n'est pas sain qu'un État envisage de changer les esprits de sa population tout entière. Ça s'appelle de la propagande, et en général, ça tourne mal.

On peut essayer de changer l'esprit des politiciens, de manière à ce qu'ils promulguent des lois et règlements qui forcent la réindustrialisation. Ce n'est pas nouveau ni original, ça s'appelle du protectionnisme. Les politiciens de droite n'en veulent pas par idéologie libérale (c'est-à-dire téléguidée par l'industrie) ; les politiciens de gauche n'en veulent pas par idéologie mondialiste. Les citoyens ont bien compris le problème ; faute de pouvoir changer l'esprit des politiciens, ils ont changé de politiciens lors des dernières élections ; restent en lice des macronistes téléguidés par la finance et donc foncièrement opposés au protectionnisme, et des extrémistes qui réclament du protectionnisme, non pas contre la Chine, mais contre l'Allemagne ("l'Europe") ou l'Algérie ("les étrangers").
En tout état de cause, les politiciens sont tenus par les traités, et en ce qui concerne la France et l'Europe, ce sont les traités de l'Oncle Sam et de l'OMC, donc il n'y aura pas de protectionnisme.

Reste le dernier acteur de la réindustrialisation : les entreprises.
Les PME qui servent une clientèle bobo font déjà de la réindustrialisation. C'est bien, mais c'est une niche minoritaire.
Les sous-traitants et fournisseurs des grands groupes sont à la merci de ceux-ci et ne décident pas eux-mêmes de leur implantation ; il suffit que Nestlé ou PSA prononce les mots "concurrence" et "Chine" et ils sont forcés de s'expatrier.

Restent les grands groupes, il faut changer l'esprit des grands groupes. Ça tombe bien, ils sont dirigés par une poignée de milliardaires. Ce sont les Champions de la France, les Capitaines d'Industrie - ils ont leurs entrées à l'Élysée. Il n'y a qu'à les convoquer dans le bureau de Macron et leur dire d'être raisonnables et hop, ils vont arrêter de murmurer "concurrence, Chine" pour pressurer leurs sous-traitants au détriment de la France (et de l'environnement, et de beaucoup d'autre choses) ; et ils vont faire porter les coûts de la réindustrialisation par leurs actionnaires et non pas par le consommateur. Ils ont obtenu leurs milliards en se comportant en requins, mais on va leur changer l'esprit, et d'un coup, ils vont se comporter en philanthropes, en protecteurs de la nature, en patriotes, et tout et tout. C'est comme si c'était fait ! Et si Macron ne s'y met pas, c'est sûrement la prochaine Présidente qui s'en chargera...

Tag(s) : #France, #Europe, #Industrie, #Consommation
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